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Le spectacle : son paradoxe social et la notion d’accueil

Spectacle en plein air avec les interprète en avant-plan et les spectateurs tout juste derrière, qui semblent participer au déroulement de l'action
Nogojiwanong Rite of Spring. Chorégraphie de Brian Solomon. Présenté les 19 et 20 octobre 2017 par Public Energy à Peterborough, ON. Photo : Matthew Hayes.

7 juin 2019 – Selon des études canadiennes sur la fréquentation des arts, le caractère social du spectacle vivant peut à la fois encourager la fréquentation et y faire obstacle. Voici le compte rendu d’une conférence web au cours de laquelle animateurs et participants ont tenté de décoder ce paradoxe social.

La conférence web sur les aspects sociaux de la participation culturelle a eu lieu 9 mai Présentée par CAPACOA et animée par Bridget, la conférence web a rassemblé 29 participants. Cette rencontre donnait suite à un webinaire antérieur sur les arts et le sentiment d’appartenance. Elle avait notamment comme objectif d’examiner les constats d’un récent rapport sur La diversité et les facteurs de participation aux arts.

D’entrée de jeu, un aperçu de cinq recherches pancanadienne a confirmé que les aspects sociaux du spectacle représentent un facteur de motivation très commun pour la population canadienne. Peu importe le sondage, entre 20 et 60 % des répondants déclarent qu’ils aiment aller voir des spectacles ou d’autres événements artistiques afin de passer du temps avec des amis ou avec la famille.

À l’inverse, l’incapacité de trouver quelqu’un avec qui faire une sortie culturelle peut représenter un réel obstacle pour certaines personnes. En effet, 19 % des répondants au sondage Culture Track Canada ont répondu que « ne pas trouver quelqu’un pour m’accompagner » est un frein à leur participation culturelle. Il est à noter que cet obstacle est rapporté tant par les spectateurs occasionnels que les réguliers.

Le double tranchant motivation/obstacle de l’expérience sociale est particulièrement bien résumé dans ce commentaire tiré d’une étude de groupes de discussion : « Dans mon cas j’aime y aller en groupe et c’est rare que j’y vais seul. J’aime partager le moment avec les autres. »

De tels constats semblent confirmer l’hypothèse selon laquelle le spectacle est une expérience éminemment sociale. Mais ils soulèvent aussi une question embêtante pour les diffuseurs de spectacles : « Comment le spectacle peut-il à la fois être une expérience sociale enlevante pour les spectateurs grégaires et être une expérience artistique avenante pour le spectateur solitaire? ».

La rapport La diversité et les facteurs de participation aux arts apporte un éclairage un peu plus nuancé sur les aspects sociaux du spectacle. D’après une analyse croisée des sources de motivation et de la fréquence de participation, ce rapport révèle que le sentiment d’être en mesure d’aller à un événement artistique seul (« being able to go by myself ») est un facteur de motivation pour 45 % des Canadiens. Qui plus est, ce sentiment est corrélé avec une fréquentation assidue de plusieurs disciplines artistiques. À l’opposé, « interagir avec les amis et/ou la famille » est peu pas du tout associé à une fréquentation assidue des disciplines artistiques couvertes dans le rapport.

En d’autres termes :

  • Il y a des personnes pour qui la sortie avec des amis constitue une source importante de motivation, mais ces personnes ne sont pas nécessairement celles qui sortent voir des spectacles très souvent;
  • Il y a des personnes qui hésitent à faire une sortie culturelle lorsqu’elles ne trouvent pas d’autres personnes pour les y accompagner et cela pourrait faire en sorte que ces personnes s’empêchent de sortir plus souvent;
  • Enfin, il y a d’autres personnes qui se sentent à l’aise de sortir seules et ces personnes comptent parmi les spectateurs le plus assidus.

Ensuite, de toutes les sources de motivation examinée dans le rapport, il apparaît que « [se] sentir le/la bienvenue » est le facteur le plus étroitement corrélé avec une fréquentation assidue. Le sentiment d’être bienvenue est lui aussi facteur relevant d’une dimension sociale. Il apporte donc une alternative au paradigme grégaire/solitaire et ouvre des pistes intéressantes en lien avec l’accueil et le sentiment d’appartenance. En effet, toute action visant à faire en sorte que le spectateur se sente bienvenu est susceptible d’avoir des incidences positives sur tous les types de spectateurs, peu importe leurs motivations, leurs perceptions ou leurs attitudes : les spectateurs en groupe apprécieront cette dimension sociale de plus; les personnes n’ayant personnes pour les accompagner en retireront une expérience plus chaleureuse et oseront peut-être sortir seules plus souvent; et les personnes qui se sentent déjà à l’aise de sortir seules se trouveront confortés dans leur choix et auront une prédisposition positive à retourner dans un lieu où elles se sont senties bienvenues.

Sachant que le fait de se sentir bienvenu est un facteur de motivation particulièrement important chez les répondants allophones et immigrants, Bridget MacIntosh a demandé aux participants à la conférence web : « Comment pouvons-nous faire en sorte que les immigrants se sentent bienvenus et qu’ils continuent d’assister régulièrement à des événements artistiques ? ». Voici quelques réponses partagées par les participants :

  • Il est important d’établir un lien de confiance avec les communautés immigrantes locales et d’offrir à ces communautés l’occasion d’organiser leur propres événements [dans la salle de spectacle].
  • Les organismes artistiques peuvent établir des partenariats avec des organismes d’aide à l’établissement afin d’offrir des billets de courtoisie ou à prix réduits à des immigrants dès leur arrivée au Canada. Par exemple à London, les immigrants établis depuis moins de cinq ans peuvent obtenir des billets gratuits pour jusqu’à quatre personnes pendant un an.
  • Le programme Canoo (autrefois appelé Laissez-passer culturel) de l’Institut canadien de la citoyenneté offre à des nouveaux canadiens des entrées gratuites dans des musées, galeries d’art, parcs et sites historiques pendant la première année de citoyenneté.
  • Les spectacles décontractés sont une bonne façon d’accueillir des spectateurs qui ne se sentiraient peut-être pas bienvenus dans une représentation régulière.
  • La première interaction d’un spectateur se passe généralement à la billetterie puis avec les placiers. Est-ce que nous faisons le nécessaire afin de pourvoir à ces postes avec du personnel multilingue? Est-ce que ces employés sont valorisés dans l’organisation et arrivons-nous à les maintenir en poste? Leur offrons-nous une formation adéquate ainsi que des informations sur l’ensemble de la programmation dans le lieu de diffusion? Leur offrons-nous les outils, la formation continue et un environnement de travail favorables à un accueil chaleureux des spectateurs?

Pendant la conférence web, Bridget MacIntosh a aussi présenté des données démographiques sur les personnes vivant seules et sur le vieillissement de la population. Ces données ont soulevé d’autres questions : « Se pourrait-il que la sortie en solitaire soit le début d’une tendance qui gagnera en popularité dans les années à venir? » ; « Comment notre secteur peut-il se préparer et s’adapter à ce changement? ». Ces questions ont encore une fois suscité de nombreuses observations et suggestions de la part des participants à la conférence web :

  • Plusieurs spectateurs âgés – des retraités actifs, dont plusieurs vivent seuls – aiment participer à des activités en groupe et font beaucoup de bénévolat.
  • Informez les résidences de retraités de votre programmation : plusieurs d’entre elles organisent des sorties de groupe en autobus ou en navette.
  • Les spectacles présentés en après-midi gagnent en popularité.
  • Un organisme artistique offre un service de navette à des personnes qui ne se déplaceraient autrement pas d’elles-mêmes. Un bénévole va les chercher directement chez elles, fait les présentations avec les autres personnes à bord de la navette, les accompagne jusqu’à la salle de spectacle, puis les raccompagne chez elles après la représentation.
  • Les activités complémentaires entourant le spectacle facilitent grandement les interactions entre les participants. Il peut s’agir de rencontres avant ou après spectacle (avec ou sans l’artiste) ou encore d’activités sociales pour les bénévoles.
  • Il est important de créer une ambiance familière; que les spectateurs se sentent comme chez eux.
  • Un organisme a essayé des soirées pour les célibataires mais celles-ci n’ont pas bien fonctionné. Ces événement attiraient des personnes avec des movitations variées : certaines y assistaient principalement dans l’objectif de rencontrer quelqu’un, d’autres étaient à la recherche d’une simple sortie sociale sans autre engagement et d’autres personnes y étaient d’abord et avant tout en raison de leur intérêt particulier pour le spectacle au programme.
  • Plusieurs lieux culturels ont un café ou une petite aire de restauration qui est ouverte en dehors des heures de spectacles afin de créer un lieu de rencontre pour la communauté. Si certaines salles, comme le Theatre Centre à Toronto, ont tout à fait réussi à développer une clientèle régulière pour leur café, un des organismes présents à la  conférence web a tenté avec moins de succès de transformer une terrasse en petit café. La clientèle disait préférer d’autres entreprises locales pour ce genre de service de restauration.

Le format de la conférence web n’a malheureusement pas permis d’explorer ces idées plus en profondeur. Il pourrait donc s’avérer pertinent pour les organisateurs de conférences de partir des mêmes constats de recherche, puis de pousser un peu plus loin le dialogue et la réflexion sur les notions de socialisation, d’accueil et de sentiment d’appartenance.

Pour plus d’informations à propos de cette conférence web ou à propos des activités de recherche et de développement professionnel de CAPACOA, veuillez contacter Frédéric Julien, directeur de la recherche et du développement.

Enregistrement de la conférence web [en anglais]

Présentation de la conférence web [en anglais]

Sources

EKOS Research Associates, Sondage du grand public, 2012

Environics Research, Les arts et le patrimoine : sondage sur l’accès et la disponibilité 2016-2017

Corporate Research Associates, Groupes de discussion sur la participation des Canadiens aux activités artistiques, 2018

LaPlaca Cohen et Nanos Research, Culture Track Canada, 2018

Nanos Research, La diversité et les facteurs de participation aux arts, 2019

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