16 mai 2016 – La semaine dernière, Statistique Canada publiait une série d’indicateurs économiques sur les arts et la culture. En termes absolus, les nombres sont impressionnants : 54,6 milliards de dollars, 630 000 emplois. En termes relatifs, ils soulèvent quelques inquiétudes.
Les Indicateurs provinciaux et territoriaux de la culture, 2014 (IPTC) sont des estimations économiques actuelles de la culture et du sport au Canada. Ils ont été conçus comme un prolongement du Compte satellite de la culture provincial et territorial, qui est plus exhaustif. Il s’agit donc de projections réalisés à l’aide de divers indicateurs macroéconomiques et elle doivent par conséquent être interprétées avec prudence.
Selon les IPTC, le produit intérieur brut (PIB) de la culture s’est accru de 2,8 % en 2014, pour atteindre 54,6 milliards de dollars. Cela représentait 3,0 % du PIB canadien. Dans le domaine du spectacle sur scène, la hausse a été encore plus marquée : 4,7 % et un sommet de 2,5 milliards de dollars.
Indicateur (perspective du produit) | Variation en pourcentage | ||||||||
Spectacles sur scène | 2010 | 2011 | 2012 | 2013 | 2014 | 2011 | 2012 | 2013 | 2014 |
PIB (en millions de dollars) | 2 064,8 | 2 126,4 | 2 192,8 | 2 354,9 | 2 465,0 | 3,0% | 3,1% | 7,4% | 4,7% |
Emplois | 53 044 | 54 571 | 54 273 | 56 200 | 54 475 | 2,9% | -0,5% | 3,6% | -3,1% |
Des données aussi astronomiques peuvent aisément monter à la tête. Cependant, un examen un peu plus approfondi nous fait rapidement dégriser. Voici quelques observations critiques :
- Les données sur le PIB ne tiennent pas compte de l’inflation. Si l’on intègre la hausse des prix à la consommation, l’augmentation réelle du PIB de la culture en 2014 n’est de que 0,9 % (comparativement à 2,5 % pour l’ensemble de l’économie canadienne [ou 2.2 % en utilisant les mêmes mesures du PIB que les IPTC]). L’augmentation réelle du PIB du spectacle sur scène est quant à elle de 2.7 %.
- Le PIB du spectacle sur scène (perspective du produit) a cru un peu plus rapidement que le PIB du Canada entre 2010 et 2014 : 11,1 % pour le spectacle, comparativement à 10,3 % pour l’économie canadienne (en tenant compte de l’inflation).
- La variation du PIB du spectacle sur scène (ainsi que quelques autres indicateurs) porte à croire que le spectacle aurait été moins affecté que d’autres secteurs par la crise économique. L’année 2010 est un jalon relativement bas pour l’économie canadienne : entre 2010 et 2011, le PIB du Canada a connu une reprise rapide et les hausse suivantes ont été beaucoup plus modérées. En comparaison, le PIB du spectacle sur scène s’est accru de façon beaucoup plus régulière et linéaire (sauf exception de l’année 2013 qui, comme l’indiquait aussi l’enquête sur les dépenses des ménages, semble avoir été particulièrement bonne pour le secteur du spectacle).
- Les indicateurs pour l’emploi sont quelque peu préoccupants. La croissance de l’emploi dans la culture a été inférieure à celle de l’ensemble du marché du travail en 2014 et sur l’ensemble de la période. Le nombre d’emplois de la culture a diminué de 0,8 % en 2014, alors qu’il augmentait de 0,6 % à l’échelle du pays selon l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail.
- L’emploi dans le domaine du spectacle sur scène s’est accru de 2,7 % entre 2010 et 2014, comparativement à une moyenne nationale de 4,7 %. L’écart n’est pas trop marqué. Cependant, la variation de l’emploi du spectacle a été négative en 2014 : -3,1 %.
Pendant les dernières décennies, nous avons été en mesure d’affirmer que le secteur des arts contribuait à la création l’emploi. Ces indicateurs culturels, même s’il ne s’agit que de projections sur une courte période, mettent à mal ce discours.
Qui plus est, la divergence entre le PIB et l’emploi du spectacle est inquiétante. Entre 2010 et 2014, le PIB du spectacle sur scène a augmenté quatre fois plus rapidement (11,1 %) que le nombre d’emploi (2,7 %). Cela pourrait être interprété comme une hausse de la productivité du travail (ce serait en théorie le cas). Cependant, dans un secteur sujet au malaise de Baumol, il n’y a pas lieu de s’attendre à une telle hausse de productivité. Il est cependant possible que quelques segments au produit élevé aient eu de meilleurs résultats, alors que le reste du secteur ait connu une période plus austère. En d’autres mots, il est possible que les Canadiens aient dépensé davantage pour des spectacles commerciaux aux billets dispendieux, et qu’ils aient moins dépensé pour d’autres types de spectacles. Quoiqu’il en soit, une diminution de l’emploi n’est pas de bon augure.
Cette interprétation tient grandement de la spéculation. Ceci est la conséquence d’un manque de données statistiques permettant de valider les hypothèses. En effet, nous faisons face à une pénurie de statistiques culturelles. D’où la triste annonce, la semaine dernière, de l’interruption de la série Regards statistiques sur les arts de Hill Stratégies Recherche…
Nous espérons néanmoins que cette brève analyse arrivera à point pour celles et ceux qui participent actuellement à la pré-consultation sur le contenu canadien à l’ère du numérique.
Régidé par : Frédéric Julien, directeur de la recherche et du développement, CAPACOA
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