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Points de vue sur l’endroit le plus branché du monde

13 décembre 2018 – Par Nadia Ross – Chaque fois que je mentionnais que j’animais une formation sur la renaissance stupéfiante de la bibliothèque contemporaine et sur ce que nous, dans l’industrie des arts de la scène, pourrions apprendre d’eux, on me répondait : « Bien sûr, les bibliothèques, c’est la place pour les gens cool ».

Comment les bibliothèques sont-elles passées du statut de tours d’ivoire et de savoir (principalement occidental), à celui de facilitatrices d’expériences dynamiques, spontanées et synchrones? Et que pouvons-nous, dans le monde des arts de la scène, apprendre d’eux ? Il est important que nous le sachions parce que, selon ce qu’en disent les grandes enquêtes statistiques, la fréquentation des salles de spectacles est en baisse alors que les bibliothèques ont le vent dans les voiles et qu’elles sont considérées comme essentielles à la qualité de vie.

CAPACOA a présenté la formation « Entretemps, dans d’autres espaces : Modes nouveaux de mobilisation dans les bibliothèques » dans le cadre de leur 31e conférence, avec la ferme intention d’inspirer un vent de renouveau dans le monde du spectacle. Dawn Ibey, directrice de Library Experience de la Vancouver Public Library et Åsa Kachan, directrice générale et bibliothécaire en chef de Bibliothèques publiques d’Halifax, y ont été invitées à nous raconter comment des bibliothèques en déclin sont éventuellement devenues des centres culturels de capital social et de connectivité humaine de plusieurs millions de dollars.

Pendant une décennie, la fréquentation de la bibliothèque n’avait cessé de décliner, rapportait Dawn Ibey. Elle a résumé la problématique ainsi : « Nous étions dans le domaine de l’information et maintenant, les gens transportent l’information dans la poche arrière de leur pantalon. » La révolution numérique avait provoqué de tels bouleversements, qu’il fallait désormais prendre les grands moyens pour assurer la survie des bibliothèques.

Après de nombreux petits ajustements et retouches qui n’ont donné que peu de résultats, ils ont opté pour quelque chose de radical : ils ont changé du tout au tout leurs liens aux choses et aux gens. Au lieu de se contenter d’être des services d’information, les bibliothèques se sont transformées en institutions de narration et de partage permettant à la communauté de se raconter elle-même.

Åsa : « Il fut un temps où nous étions propriétaires du savoir. Aujourd’hui, nous accueillons et partageons les savoirs des usagers. Nous aidons les gens à voir la vie d’un point de vue autre que le leur. »

Dawn : « Les membres de notre collectivité ont des histoires à raconter et nous sommes devenus les capteurs de ces histoires. C’est notre nouvelle raison d’être. Les bibliothèques sont un lieu pour tous et chacun où chacun peut créer, se raconter et partager ses idées. »

Avant de procéder à ce changement axé sur la personne, il fallait d’abord changer les règles.

Åsa : « Nous nous sommes rendus compte qu’il fallait vraiment remettre la bibliothèque au peuple. Cela signifiait supprimer les règles [comme l’interdiction de] manger de la nourriture ou [l’exigence de] ne pas faire de bruit. Si elle appartient au peuple, nous devons laisser le peuple en faire ce qu’il veut, y compris déplacer le mobilier. »

« Nous nous sommes rendus compte qu’il fallait vraiment remettre la bibliothèque au peuple. Cela signifiait supprimer les règles [comme l’interdiction de] manger de la nourriture ou [l’exigence de] ne pas faire de bruit. »

– Åsa Kachan, directrice générale et bibliothécaire en chef des Bibliothèques publiques d’Halifax

Pour se renouveler, ils ont dû abandonner certaines façons de faire.

Åsa : « Notre métier consistait à classer des objets catégoriquement sur une étagère. Notre diligence, qui avait été jusque là notre point fort, devenait désormais un obstacle. [Par exemple,] nous savons que les amendes ne fonctionnent pas et qu’elles ne tiennent pas compte des différences en matière de privilège. Nous avons dû renoncer à certaines de ces choses qui nous tenaient à cœur. »

Pour la Bibliothèque publique de Vancouver, le grand changement a commencé à s’opérer lorsque l’on a décidé de ne plus avoir un comptoir de renseignement en plein centre de la bibliothèque. Les bibliothécaires n’étaient désormais plus confinées derrière un grand bureau que vous approchiez tranquillement pour poser votre question; les bibliothécaires devenaient libres de parcourir le bâtiment et d’entrer en relations avec les usagés sur de nouvelles bases. Par cette démarche, la Bibliothèque publique de Vancouver voulait se départir d’une dynamique de pouvoir subtile mais d’une importance critique qui était au cœur de la culture des bibliothèques depuis très longtemps : c’est-à-dire cette idée selon laquelle il nous faut une autorité centralisée pour nous transmettre le savoir.

Au début, ce changement a fait face à une certaine résistance…

Dawn : « Ce n’était pas un échec total mais ça y ressemblait. Nous avons dû traverser la tempête… Cela aurait été un échec si nous avions cédé à cette pression pour revenir à la situation initiale. »   

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Comme toutes les transformations profondes sont rarement faciles, la persévérance a été la clé.

Les bibliothèques se consacrent maintenant à l’édification du capital social, et l’une des façons d’y parvenir est de tirer parti des partenariats qui leur permettent d’offrir des programmes qui célèbrent la diversité au sein de la collectivité. En changeant leurs règles, les bibliothèques sont désormais libres d’établir de nouveaux types de relations. Et elles veulent certainement établir des partenariats avec les arts de la scène, car elles disposent de l’espace nécessaire pour eux dans de tout nouveaux espaces construits à coups de millions de dollars à Halifax, Calgary et Vancouver. Du studio d’enregistrement à la salle de spectacle, en passant par le café, le fab-lab et l’espace consacré aux résidences d’artistes, les bibliothèques couvrent de vastes territoires culturels et continuent d’en ajouter de nouveaux. Åsa se montre optimiste : « Si les bibliothèques et les arts de la scène peuvent faire les choses correctement, nous réduirons les coûts de la santé dans nos collectivités. » 

Pour aller de l’avant, les bibliothèques ont tourné le dos à des pratiques et des façons de faire qui étaient jusqu’alors leurs piliers. Ainsi, pour conclure notre séance, nous avons demandé aux délégués quels étaient les piliers qui empêchaient les arts de la scène d’évoluer. Les statistiques nous disent clairement qu’il est essentiel de refléter la diversité sur scène. Il en va de même pour le revenu, la situation familiale et le lieu de résidence : l’accès est important. Certaines barrières sont systémiques, indissociables des pratiques et façons de faire du monde du spectacle, mais elle ne devraient pas pour autant se soustraire la remise en question : qui a dit que les spectacles devaient commencer à 20h ? Pourquoi avons-nous encore des guichets ? Pourquoi ne pouvons-nous pas juste entrer dans une salle et acheter le siège devant nous sur notre portable ? Pourquoi devons-nous rester tranquilles pendant le spectacle ? Pourquoi ne peut-on pas prendre de photos ?  Pourquoi les salles de spectacle sont-elles inaccessibles au public, sauf pendant quelques brèves heures de représentations ? Pourquoi est-ce si compliqué pour les familles et malaisant pour les célibataires d’y assister ? Pourquoi ne pouvons-nous pas manger au théâtre ? Pourquoi ne pouvons-nous pas tous être sur scène ?

La remise en question pourrait aller jusqu’à la notion même d’artiste professionnel : qui a le droit de se produire devant public et sur quelles bases la rémunération devrait-elle être offerte à certains artistes mais pas à d’autres?  

Ne sachant quelles réponses apporter à ces questions existentielles, j’ai demandé à nos amis bibliothécaires quels conseils elles pourraient bien nous donner.

Dawn : « Les bibliothèques ont attendu presque trop longtemps avant de procéder au changement. Ne faites pas la même erreur. N’attendez pas trop longtemps. »

Les perturbations technologiques sont évidentes et exigent un sacrifice. Alors que nombre d’idées flottaient encore dans l’air, Åsa a conclu avec ce conseil : « Nous devons arrêter d’essayer de tout rendre parfait. Il faut qu’on apprenne à se sentir à l’aise dans le désordre. »

Voilà au moins une chose à laquelle nous pouvons tous nous identifier.

 

Compte rendu rédigé par : Nadia Ross, directrice artistique, STO Union

Entretemps, dans d’autres espaces : Modes nouveaux de mobilisation dans les bibliothèques était commandité par :

Ontario Presents et

Références

LaPlaca Cohen et Nanos Research, Culture Track Canada, préparé pour Business for the Arts, 2018.

Groupe de recherche Environics, Les arts et le patrimoine : sondage sur l’accès et la disponibilité, 2016-2017., préparé pour Patrimoine canadien et le Conseil des arts du Canada.

Presentation on Vancouver Public Library

Presentation on Halifax Public Libraries

 

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