Faits indéniables ou vérités proverbiales? Le débat au sommet CKX a soulevé de nombreux points de vue, fait l’objet un article dans le Globe and Mail, puis d’un billet par Denis Bertrand. Afin de poursuivre le dialogue, CAPACOA a commandé un billet à Inga Petri.
De l’importance des chiffres
Par Inga Petri
Dans le cadre du débat d’idées de #Cultureshock opposant Alain Dubuc, journaliste et économiste, et Shawn van Sluys, qui dirige une fondation philanthropique dont l’objet est de mettre en valeur les arts dans notre vie de tous les jours, on a examiné la question de savoir si « la pleine appréciation des arts et de la culture par la société passe par la mise en évidence de leur impact à l’aide de faits indéniables » ou si la vérité proverbiale suffit.
L’argument en faveur de l’utilité des arts pour la transformation de l’être et la compréhension du monde était certes convaincant, mais j’ai été frappée davantage par les propos de l’économiste qui affirmait que les faits indéniables sont « le meilleur moyen », plutôt que « le seul moyen », de nous assurer que nous apprécions pleinement les arts et la culture.
Ce débat me rappelle l’observation faite par Daniel Kahneman dans Thinking, Fast and Slow, observation selon laquelle les êtres humains ont tendance à croire que la réalité se limite à ce qu’ils voient. Il fait remarquer en effet que nous pouvons passer à côté d’éléments importants si nous ne poussons pas notre analyse au-delà de ce que nous voyons dans l’immédiat.
Et ceci me rappelle ce que certains disent, à savoir que ce qui compte, c’est ce qu’on peut compter. Ceci supposerait aussi que ce que nous comptons est ce qui compte vraiment, et que ce qui n’est pas compté ne compte pas vraiment. Dans le domaine des arts, ce qu’on compte, c’est le nombre de billets vendus ou l’assistance par rapport au maximum des places disponibles. Jusqu’à récemment, on ne s’était pas vraiment attardé à recueillir ce que les gens disent, et encore moins les points de données, au sujet de l’impact et des avantages que supposent pour eux les arts. À mon avis, ce n’est pas simplement parce que certaines statistiques sont (relativement) faciles à obtenir, comme le nombre de spectateurs, le PIB ou les données de l’emploi, qu’elles nous présentent forcément le portrait complet d’une réalité donnée. Par ailleurs, ce n’est pas parce que certaines choses sont plus difficiles à mesurer qu’elles ont moins d’importance, ni qu’elles ne sont pas mesurables du tout.
En effet, pour bien comprendre une situation, il nous faut tenir compte à la fois des chiffres et de ce que les gens disent de la situation en question. Les chiffres, les nombres, les statistiques ne signifient rien en soi. Toute statistique doit être mise en contexte et il faut comprendre en outre toutes les dynamiques intrinsèques qui entrent en jeu. Dans le cadre de mon travail comme chercheure et stratège, je dois non seulement produire des tableaux et des analyses, mais je dois aussi interpréter les constatations que je fais et leur donner tout leur sens. C’est grâce à ce processus très créatif – qui consiste à allier la capacité de donner tout son sens à une situation donnée et la collaboration avec tous les décisionnaires – que nous en arrivons à mieux comprendre ce qui se passe vraiment. Et pour donner tout son sens à une situation donnée, quelle qu’elle soit, nous devons donner vie aux chiffres et statistiques par des exemples, c’est-à-dire au moyen de ce que les gens nous disent de leur expérience.
Certains dans le monde des arts préfèrent ne pas parler la langue des chiffres et des statistiques qu’ils ravalent au rang de la langue du monde des affaires. Mon travail avec des sociétés m’a appris que, oui, les statistiques et les chiffres sont importants. Et pourtant, beaucoup de ces sociétés investissent gros dans l’innovation et la créativité afin de pouvoir résoudre des problèmes importants et d’améliorer la qualité de vie grâce à de nouveaux produits et services. Le décalage n’est donc pas si marqué entre les deux mondes. Je dirais plutôt qu’il nous manque des interprètes ou des médiateurs, des personnes qui connaissent à fond les deux langues et qui peuvent nous aider à mieux nous comprendre les uns les autres.
Inga Petri est la chercheure principale de L’importance de la diffusion : une étude sur la diffusion des arts vivants au Canada (2011 à 2013), étude déterminante qui a été commandée par CAPACOA au nom des réseaux de diffusion du Canada.
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